Directeur artistique dans la publicité depuis plus de 10 ans entre Lille, Paris et Montréal, Arnaud se confie sur son parcours dans une interview exclusive pour Espace Auto Entrepreneur.
Je pense qu’au début, c’était plus par défaut. À la sortie de mes études, je terminais mon premier CDD dans une agence parisienne et je n’avais pas trouvé d’agence qui me plaisait. Par contre, les agences que je visais cherchaient des freelances… alors, je me suis dit pourquoi pas tester. J’ai commencé à travailler pour BETC, DDB Paris… Ça m’a ouvert les portes d’agences qui font un peu rêver quand tu commences, ça m’a tout de suite apporté une diversité de projets sympas. En plus ce sont des structures habituées aux “free” (comme on dit dans le métier) donc tu es tout de suite pris dans la machine et tu rencontres vite beaucoup de gens. À l'époque, je n'avais pas encore décidé de partir à Montréal et ça m’allait bien d’aller d’agence en agence. Puis j’étais jeune, je ne savais pas encore vraiment ce que je voulais et ça m’a permis de tester différents profils d’agences pour trouver ma place.
Je ne me sentais pas vraiment à ma place à Paris, je n’avais pas envie de rentrer à Lille et même si j’avais beaucoup de travail en freelance et que je gagnais bien ma vie, j’étais quand même toujours là pour “dépanner”. Je commençais à ressentir une certaine désillusion du milieu de la pub parisien où si tu n’es pas la rock star des free, quelqu’un de très installé avec un gros réseau, on ne te confie pas les missions les plus sexy. Je me sentais capable de donner plus, j’avais envie… mais je n’étais pas une rock star ! Je rêvais de faire partie des 1 % de créas qui ont des prix, d’avoir ma chance alors, je me suis dit : il faut bouger. C’était soit Montréal, soit Buenos Aires. J’ai eu des retours super positifs d’agences montréalaises, peut-être un peu plus sécurisantes pour commencer tout en conservant mon statut. Avec ma future femme que je venais juste de rencontrer, on s’est dit banco !
J’ai tout de suite trouvé du travail en free. Après quelque temps, j’ai été embauché dans une belle boîte, ce qui m’a permis d’obtenir mon visa. J’ai eu l’opportunité de travailler sur de gros projets et de gagner quelques prix au passage, ce qui était très valorisant. Là-bas, on te donne beaucoup plus facilement ta chance si tu es motivé. Mais après 6 ans de salariat, j’ai de nouveau eu le sentiment de stagner. En plus, je bossais principalement pour un client automobile qui venait de se faire épingler pour avoir faussé des résultats anti-pollution… J’ai commencé à me poser des questions sur le sens de mon travail, la façon dont je le faisais. Je commençais à être frustré.
J’avais conservé mon statut d’indépendant, alors je m’y suis remis là-bas. J’aimais de plus en plus faire de la typo à la main, je me suis relancé dans mes projets d’illustration et j’ai été contacté par The North Face justement pour de l’illustration : ça m’a apporté un nouveau challenge et j’ai pu développer cette nouvelle compétence. C’était hyper enrichissant, un peu plus “concret” et c’est ce qui me manquait en agence : de la nouveauté et des projets qui me touchent !
À Paris, et en France plus généralement, on regarde plus les études, l'expérience que le potentiel talent. À Montréal, si tu es capable et motivé, on te pousse, on t’encourage à te dépasser. C’était aussi un environnement de travail agréable avec beaucoup moins d’égos à gérer. On s’en fout de l’école que tu as faite ou de là où tu es passé, ça n’avait aucune importance là-bas. D’ailleurs, c’est drôle, en France, quand je suis rentré, on m’a tout de suite demandé quelle école j’avais faite… Alors que je bossais depuis près de 10 ans !
Après 10 ans, le retour a été un peu sport, mais la famille nous manquait et on venait d’avoir notre premier enfant. On a atterri à Nantes où j’ai naturellement cherché du travail en freelance. J’avais peur de revenir et ça a été la douche froide, car je sentais que je ne rentrais plus dans les cases des demandes françaises : un book trop parisien pour la province, plus assez pour la capitale… En plus, le marché des free a complètement explosé en 10 ans, c’est devenu de plus en plus dur de se faire une place confortable. Puis, c’était en plein Covid. Je n’avais plus aucun réseau… J’ai même pensé à faire de la livraison, car je ne trouvais aucune mission !
La plus grosse crainte, c’était le stress économique du statut d’indépendant, surtout avec un enfant. La stabilité est quand même plus rassurante. C’est d’ailleurs une question qui m’angoisse à la base. C’est bien beau de chercher des projets cools, mais un moment, il faut gagner sa vie !
Je commençais aussi à vraiment douter de ce que je faisais et de mes choix et je me rendais bien compte que je n’étais plus fait pour travailler en agence. En tout cas, je n’ai pas trouvé celle qui me convenait vraiment.
Finalement, on s’est réinstallés à Lille où j’ai décidé de reprendre une formation dans le vin, tout en conservant mon statut. Je suis revenu à quelque chose de plus concret, j’ai travaillé dans une cave à vin, j’ai porté des cartons, rencontré des vignerons, des vrais gens. Puis je me suis dit : pourquoi pas mixer tout ça avec mes compétences de DA, et j’ai commencé à réaliser des illustrations et des identités graphiques dans ce secteur.
En freelance, je trouve que le travail est beaucoup plus valorisé, le feedback est plus direct, on a plus de proximité avec ses clients. C’est agréable, surtout sur des missions régulières. Je n’ai pas, ou très peu, connu ça dans le salariat. Malgré les doutes, ça booste la confiance en soi et ça donne envie de se dépasser. En freelance, je pouvais aussi contacter des boîtes qui me plaisaient, dont je partageais les valeurs et faire valoir tout ce que je savais faire. Ce qui est plus compliqué en tant que salarié où on est un peu figé à son poste et à sa tâche…
Puis j’avais tellement donné en agence, jusqu’à annuler des vacances, etc. Et pourquoi ? Pour me retrouver à faire des jeux concours pour faire gagner de l’essence… Je finissais par travailler sans réfléchir. D’un coup, ça m’a paru absurde. Je ne voulais plus faire ça, je ne suis peut-être pas fait pour le “système agence”. Puis, il faut l’avouer, ma compagne m’a beaucoup soutenu et elle était en CDI, ce qui m’a permis à chaque fois de faire ce choix. Aujourd’hui, je sais que quoi qu'il arrive, ce sera toujours ma bouffée de créativité, ça me permettra de pouvoir être prêt à accepter un projet qui me plaît. Je me laisse cette possibilité et ça ne me coûte rien de garder ce statut, même si un jour, je reviens au salariat, on ne sait jamais !
Mine de rien, je pense que c’est important de passer par le salariat, pour connaître ses clients et pouvoir s’adapter. Montrer qu’on bosse comme eux finalement et qu’on connaît les codes.
Ensuite, je pense que c’est une question d’état d’esprit. Il faut accepter de ne pas toujours “faire partie de la bande” comme quand on est salarié d’une entreprise. Surtout pour les missions plus longues sur place. Par exemple, pour une mission, je travaillais depuis quelques mois sur site pour un client. J’étais hyper bien intégré à la vie de l’agence. Arrive le week-end team building annuel où tout le monde est convié. Je suis très content d’être invité. Enfin presque, quand je me suis rendu compte que je devais payer ma place et les activités qui allaient avec ! Donc voilà, il faut s'accommoder d’une position dedans dehors.
Autre point important : il ne faut pas hésiter à demander conseil pour tout ce qui concerne l’administratif. Moi, je n’étais pas doué, j’ai appris sur le tas, mais une aide est toujours la bienvenue.
Et puis finalement, financièrement, ça ne coûte rien en France, si on a envie de travailler autrement, c’est possible : il n’y a pas que l’entreprise dans la vie !
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Arnaud Tartier “Je cherchais un CDI, les agences cherchaient des freelances : c’est comme ça que ça a commencé.”
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