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Témoignages d'auto-entrepreneurs

Émilie Mary Delestrez - Consultante en Développement Social Urbain “Pour moi, l’auto-entrepreneuriat est une révélation !”

Publié le 16/07/2024
Émilie Mary Delestrez - Consultante en Développement Social Urbain “Pour moi, l’auto-entrepreneuriat est une révélation !”

Mener de front une carrière professionnelle prenante et une famille avec un enfant qui demande plus de temps que les autres… Ça n’était plus possible dans un schéma traditionnel. Mais impossible ne fait pas partie du vocabulaire d’Émilie Mary Delestrez qui, pour Espace Auto-entrepreneur, nous raconte pourquoi et comment l’auto-entreprise a changé sa vie.

Avant la création de ton auto-entreprise, quel était ton parcours professionnel ?

J’ai une formation bac +5 en ingénierie de projet spécialisé dans le développement de projets urbains. En résumé, j’accompagnais les bailleurs sociaux, les régies de quartier entre autres, sur différents projets pour créer de la cohésion dans les quartiers populaires, autour de la notion de bien vivre ensemble. Ça regroupe un large spectre de projets sociaux urbains que je monte et accompagne avec les parties prenantes concernées : les populations sur place comme les régies de quartiers, les élus, bailleurs sociaux…

J’ai commencé ma carrière à Paris où je vivais. Ça se passait très bien et j’aimais mon travail. Mais j’ai dû quitter mon poste en suivant mon mari à Angers où notre famille s’est réinstallée.

Sur Angers, j’ai eu des difficultés à retrouver un poste équivalent. Mes études me permettant d’être professeur des écoles en remplacement, je suis alors rentrée dans l’enseignement, un peu par hasard.

Du développement social à l’enseignement : c’est un saut assez inattendu. Comment c’est arrivé ?

Quand nous sommes arrivés à Angers, il fallait que je retrouve du travail. Ça traînait trop et je ne trouvais pas vraiment ce qui correspondait à mes compétences. Je suis naturellement quelqu’un qui a besoin de travailler et d’être en action. Je n’avais pas pensé à l’enseignement, mais l’occasion s’est présentée et mon niveau d’études me permettait d’y aller facilement et rapidement.

En exerçant, j’ai fini par identifier des synergies avec mon “ancien” métier, et ce que j’aime faire le plus : monter et développer des projets. Avec les enfants, c'est génial : on peut les embarquer sur tout ! J’ai réussi à organiser des expositions pour lutter contre la faim, des sorties pédagogiques. Même avec l’équipe enseignante : c’est un milieu qu’on peut facilement mobiliser. Par contre, j’étais vraiment trop mal payée en tant que remplaçante, par rapport au travail que ça engage.

C’était une très chouette expérience, mais à cause de ça, et aussi, car j’espérais quand même renouer avec mon métier premier, j’ai recommencé à chercher et suis tombée sur une annonce de l’AFEV d’Angers ( une association qui propose aux jeunes de s'engager contre les inégalités scolaires). Cette association mettait en place un projet de colocation de jeunes sur des quartiers prioritaires pour aider les habitants à développer des actions autour du bien vivre ensemble. C’était tout à fait dans mes compétences, j’ai obtenu ce poste de “coordinatrice collocation en projet solidaire” et ça a été une aventure de 4 ans très enrichissante.

Donc à ce moment-là, tu es toujours dans le salariat et tu y retournes. À quel moment et pourquoi se fait la bascule sur l’auto-entrepreneuriat ?

Pour être honnête, j’étais très bien en salariat, je n’ai pas eu de mauvaises expériences qui m’auraient dégoûtée. Je trouvais même ça cool ! La décision de changer vient de quelque chose de plus personnel. J’ai une petite fille porteuse de handicap et son état de santé demande forcément plus de temps et d’investissement. Pendant 4 ans, j'ai réussi à tenir, mais il devenait de plus en plus compliqué pour moi de suivre le rythme d’un boulot prenant et d’être à la hauteur de mes exigences de maman.

À un moment donné, j’ai senti que j’allais exploser entre mes différents engagements à tenir, et aussi une certaine culpabilité montait en moi vis-à-vis de ma fille. Je me suis dit que je préférais accompagner ma fille à ses différents rendez-vous médicaux qu’être à l’heure au bureau. Je ne me rendais même plus compte de l’abattage de tâches que je m’imposais entre le travail et la maison. Si bien que, quand j’ai demandé une rupture conventionnelle, il n’y a eu aucun débat : collègues comme hiérarchie se demandaient déjà comment j’avais fait pour tenir cette cadence jusque-là. On a essayé d’imaginer un rythme plus adapté, car j’aime mon métier et j’aime travailler. Mais c’est un métier de plein-temps et il est compliqué de ne travailler que les après-midis par exemple. On rencontre beaucoup de monde, on est amenés à se déplacer sur les territoires, c’est tout ce que j’aime, mais ça demande de la disponibilité et je ne me voyais pas faire ça à moitié.

Forcément, à un moment, ça n’allait plus fonctionner. La rupture conventionnelle s’est imposée, ça s’est très bien passé et je me suis donc retrouvée au chômage. Je n’ai pas perdu de temps, car le mois suivant, j’avais créé mon statut d’auto-entrepreneur, donc en octobre 2024.

As-tu tout de suite pensé à l’auto-entrepreneuriat ?

Oui tout de suite. J’avais quelques connaissances qui étaient auto-entrepreneurs, dont une rédactrice. J’en ai parlé avec elle, et elle a été très rassurante sur son statut, ça m’a donné envie de tenter l’expérience dans le même domaine qu’elle pour commencer. J’avais besoin de me remettre rapidement en action, j’ai ouvert mon statut et je me suis lancée tranquillement dans le copywriting après une formation de 3 semaines en e-learning, que j’ai suivie sur internet. J’aime la langue, manier les mots et j’avais la sécurité des indemnités de rupture conventionnelle et de France Travail. J’ai voulu tester, ça me semblait porteur. J’ai réussi à trouver quelques missions de rédaction, des newsletters, des e-mails marketing, mais, raisonnablement, ça n’était pas assez solide, je manquais de réseau sur Angers, ça n’était pas assez rémunérateur et j’avais quand même besoin d’un minimum de stabilité.

Et pourquoi ne pas avoir développé ton auto-entreprise directement dans ta branche ?

Par rapport à ma fille, j’avais besoin de travailler à la maison, pour être présente. En choisissant le copywriting, j’étais sûre de ne pas où très peu devoir me déplacer. Puis finalement, je me suis rendu compte que j’avais quand même pas mal de relais et d’aide autour de moi pour s’occuper de ma fille. Ce qui potentiellement me dégageait un peu plus de temps.

J’avais déjà croisé des indépendants dans mon domaine en travaillant sur Paris, mais je me suis vite rendu compte que ça n’était pas la norme en province, et que ça allait être plus compliqué de s’imposer. Quand j’en ai parlé à mes anciens collègues et employeurs, tout le monde trouvait ça génial, par contre ça ne débouchait sur rien. 

Qu’est-ce qui t’a poussé à te lancer dans ton domaine finalement ?

La vie étant pleine de surprises, par la suite, j’ai recroisé une amie qui avait monté une association sur Paris, dans le domaine du développement urbain. Elle avait besoin d’aide. Quand je lui ai parlé de mon statut d’auto-entrepreneuriat, ça a fait tilt et elle m’a proposé de travailler avec elle en auto-entrepreneur, dans ma branche initiale. J’ai donc pu accéder à des contrats qui me correspondaient, sur des missions de court à moyen terme, en région parisienne.

Cette expérience m’a motivée encore plus à essayer de développer mon activité à Angers, via les contacts que j’avais sur place. Je constate que, même si les structures existantes traditionnelles ne sont peut-être pas totalement mûres pour travailler avec des agents indépendants, il y a de réels besoins sur les territoires. Le problème, c'est qu’ils ne sont pas toujours bien interprétés par les structures elles-mêmes, et moi, j'interviens quand le besoin est identifié : quand il y a quelque chose de concret à mettre en place et qui répond à un besoin réel. L’enjeu aujourd’hui est donc de me faire connaître pour montrer l’étendu de mon périmètre d’intervention.

Donc finalement, même si tu n’as pas encore beaucoup de recul, tu penses continuer sur cette lancée ?

Oui, car je commence à avoir pas mal de devis demandés par des régies de quartier, des bailleurs qui lancent des initiatives locales sur lesquelles je suis rodée. Le fait de voir que je connais mon sujet, et que je fais exactement le même travail qu’une salariée, via l’association avec laquelle je collabore, ça rassure. Je me rends compte qu’il y a quelque chose à faire et ce statut m’apporte la possibilité de tester et tâter le terrain. Mon objectif à terme est de stabiliser l’activité et j’ai assez bon espoir.

En plus, je me rends compte que j’ai quand même pas mal d’expérience et que ça me permet de dessiner de plus en plus précisément les contours de mon offre et la manière dont je peux “me vendre”. En salariat, on n'a pas ce recul, on est tellement dans le jus qu’on ne se voit peut-être plus en tant que personne compétente et capable, en tout cas peut-être pas capable d’être autonome à ce point-là.

Et puis ce statut correspond bien à mon état d’esprit : l’autonomie, la prise d’initiative et le besoin d’être en action. On est obligé sinon ça ne fonctionne pas, il faut en parler, démarcher, se montrer auprès des acteurs clés. 

Après, même si je ne regrette pas le salariat, je me rends compte que maintenant, je dois gérer des choses auxquelles je ne pensais pas avant : retraite, mutuelle, etc. C’était quand même confortable de ne pas se poser ce genre de questions en entreprise.

Ce nouveau statut, qu’est-ce que ça a changé dans ta vie ? 

Pour moi, c'est une révélation ! 

Sans exagérer, je vis mon travail bien plus sereinement. Parce que je peux aménager mes horaires, le temps de réflexion est aussi plus important. Je pense que ça amène encore plus de qualité à mon travail. Je me sens aussi beaucoup plus libre dans mes réflexions, sans gérer le poids d’une hiérarchie parfois bloquante. C’est valorisant d’être plus autonome et quand je fais un bon mois financièrement, je me dis : “Ok, tu gères, c’est super”. Ça me rend fière !

Cet aménagement de mon rythme de travail me permet de gérer les obligations familiales comme professionnelles, je peux assurer les rendez-vous loisirs, médicaux, scolaires de mes deux enfants tout en étant efficace dans mon travail sur les créneaux horaires qui me conviennent le mieux. Et c’est super parce que je n’ai jamais été du matin !

Ça a aussi apporté une qualité de vie supérieure à toute la famille, du temps beaucoup plus qualitatif. La situation de ma fille s’améliore, car nous sommes moins stressés par les horaires, les rendez-vous, la course tous les matins pour littéralement jeter les enfants à l’école et prier pour ne pas être en retard au travail : tout ça, c'est fini.

Nous avons récemment eu de bonnes nouvelles concernant ma fille et honnêtement, je pourrais envisager de nouveau le salariat. Mais pour l’instant, je suis tellement contente de pouvoir explorer tout ce que je peux faire, j’ai vraiment envie de continuer l’expérience et de voir quelles portes peuvent s’ouvrir.

Quel est ton retour d’expérience concernant la création pure du statut ?

J’ai été surprise parce qu’on entend facilement dire que ça prend 5 minutes sur Internet. Alors c’est vrai, seulement si on décide de payer quelqu'un pour faire l’action. Moi, j'ai besoin de comprendre les choses donc j’ai tout fait moi-même. Si ça prend 5 minutes, je ne vois pas l’intérêt de sous-traiter quelques clics. Je me suis donc donné deux jours pour tous régler et comprendre. 

Pour moi, créer le statut en tant que tel a été facile… Mais, c’est vrai qu’il y a quand même quelques zones d’ombres. Moi qui ai l’habitude de travailler avec des populations précaires et parfois d’aider à remplir des documents administratifs et Cerfa imbuvables, je trouve que certains documents sur l’auto-entrepreneuriat sont compliqués, ne serait-ce qu’à comprendre. En ce sens, ça n’est pas accessible à vraiment tout le monde. En tout cas, je me demande comment certaines personnes que je croise dans mon métier feraient pour tout comprendre. La manière dont sont tournées les questions est trop alambiquée pour dire des choses simples. Rien que pour “Exercez-vous une activité non sédentaire ?” :  il n’y avait vraiment pas moyen de simplifier cette question ?!

Aussi, je trouve ça vraiment dommage qu’on ne sensibilise pas les enfants, ados ou étudiants à cette manière de travailler et à la façon de gérer une petite entreprise. Car c’est une façon de travailler comme les autres finalement ! Moi, je n’avais pas du tout ce référentiel, mes parents étaient tous deux salariés. Pour moi rien n’existait réellement à part le salariat et le sacro-saint CDI. On devrait en parler pendant la scolarité, sensibiliser sur les droits et les devoirs que ça implique aussi.

Et au quotidien, comment abordes-tu cette partie administrative ?

Les déclarations Urssaf, c’est plutôt simple. Je me mets un rappel tous les mois et on prend vite le pli. Même s’il faut avouer qu’en termes de navigation, le site n’est pas toujours très fluide. Il ne faut pas oublier que je suis vraiment novice, je me suis lancée il y a moins d’un an, donc j’ai encore des difficultés à comprendre ce qui concerne les impôts, le CFE, les avantages auxquels je peux prétendre…

Je me donne le temps, mais j’aurais aimé que ce soit plus simple d’en parler avec quelqu’un de l’administration. C'est-à-dire de réussir à joindre quelqu’un de compétent à l’Urssaf, sans que la moindre petite galère devienne une montagne. Par exemple, j’ai eu un écart de 4 euros sur les déclarations, ça a été la croix et la bannière pour joindre l’Urssaf et comprendre un problème qui est devenu kafkaïen pour une ligne mal remplie. La prise de contact avec l’humain est vraiment compliquée à ce niveau.

Quels conseils donnerais-tu à quelqu’un qui hésite à se lancer ?

Je lui dirais de foncer ! C’est le meilleur statut pour se rendre compte de la viabilité d’un projet professionnel. Si ça ne marche pas, on cesse l’activité, ça ne coûte rien ? Il n’y a rien à perdre à essayer : on ne donne de l’argent que si on en gagne. Je ne vois pas le désavantage.

Après, il faut dépasser ses appréhensions. C’est certainement plus rassurant de se lancer suite à une rupture conventionnelle ou quelconque situation permettant d’avoir des indemnités en back up.

En tout cas, moi, je n’ai aucun regret. Mon objectif est vraiment de pouvoir continuer mon chemin, stabiliser mon entreprise et à la développer autant que possible.

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