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Rencontre avec Hervé Novelli, le fondateur du statut de l’auto-entrepreneur

Publié le 12/09/2024
Rencontre avec Hervé Novelli, le fondateur du statut de l’auto-entrepreneur

Le statut d'auto-entrepreneur a été créé en France en 2008 dans le cadre de la loi de modernisation de l'économie, sous l’impulsion d’Hervé Novelli, ancien député d’Indre-et-Loire. Avec 2,7 millions d’inscrits, le succès de ce régime ne faiblit pas malgré les nombreuses évolutions qu’il a connues ces 15 dernières années. Nous avons rencontré son fondateur, qui revient sur la révolution économique, sociale et digitale engendrée par une volonté de simplification administrative. 

En 2023, la France comptait 2,7 millions d'auto-entrepreneurs inscrits pour un chiffre d'affaires de 25 milliards d’euros. Un montant spectaculaire qui prouve que le statut n'est plus un phénomène marginal, mais un acteur clé de l'économie. Avec près de 5 milliards d'euros versés à la sécurité sociale, la contribution de ceux qu’on appelle aujourd’hui les micro-entrepreneurs est plus significative que jamais. 

Hervé Novelli, né le 6 mars 1949 à Paris, entre au gouvernement en juin 2007 en tant que secrétaire d'État, chargé des entreprises et du commerce extérieur. Cet homme politique français a auparavant dirigé deux PME. Hervé Novelli fait adopter la loi de modernisation de l'économie en 2008, introduisant le statut d'auto-entrepreneur, conçu pour simplifier le démarrage et l'arrêt d'une activité. Entré en vigueur le 1er janvier 2009, ce dispositif connaît alors un succès notable, en pleine crise économique, avec plus de 145 000 inscriptions en seulement six mois. Hervé Novelli a accepté de nous rencontrer pour évoquer les récentes évolutions du statut, son histoire, sa philosophie fondatrice, ses forces et ses failles, mais aussi son avenir à l’heure d’une nouvelle augmentation des cotisations.

Pourriez-vous revenir brièvement sur votre parcours avant votre entrée au gouvernement en 2007 ?

J’ai été entrepreneur avant d'être nommé secrétaire d'État, chargé des entreprises et du commerce extérieur en juin 2007. Je ne vais pas énumérer l'ensemble de mon parcours, mais j'ai dirigé deux petites entreprises familiales pendant près d'un quart de siècle. Cette expérience m'a permis de développer une vision claire sur la nécessité de simplifier les démarches administratives pour les PME.

J'avais d’ailleurs écrit un ouvrage dans les années 1990 intitulé Aider les PME : défis et réalités, où je mettais en lumière les différents obstacles auxquels une petite entreprise doit faire face, de sa création jusqu'à sa mort. Je suis donc arrivé au ministère avec une volonté forte : celle de simplifier tous les actes de gestion pour les entreprises.

Quelle approche avez-vous privilégiée pour mener à bien un projet d'une telle envergure ?

À l'été 2007, j'ai mis en place trois groupes de travail dédiés à la simplification administrative. Pour cela, j'ai réuni des praticiens expérimentés, notamment des entrepreneurs, des experts-comptables, des avocats, et des notaires : tous les métiers qui accompagnent la vie courante des entreprises. Ces groupes étaient épaulés par quelques fonctionnaires de la Direction générale de l’industrie, qui ne s'appelait pas encore Direction générale des Entreprises à l'époque, à Bercy. Je leur ai fixé pour objectif de m'identifier, pour la rentrée de septembre, les trois simplifications majeures à apporter dans les domaines fiscal, social, et réglementaire.

À ma grande surprise, les trois groupes ont unanimement souligné la nécessité de simplifier les procédures de création d'entreprise. J'ai ainsi sollicité François Hurrell, qui était alors directeur général de l'Agence nationale pour la création d'entreprise (aujourd'hui dissoute). Il m'a remis un rapport préconisant la mise en place d'un statut simplifié pour les créateurs d'entreprises.

Quels sont les principaux fondements du statut d'auto-entrepreneur ?

À partir de ce rapport, j'ai travaillé avec des entrepreneurs et mon cabinet pour élaborer ce statut en y intégrant des innovations notables, certaines allant au-delà des recommandations initiales. Par exemple, nous avons introduit la première inscription en ligne en France, en véritable rupture avec l'époque.

Le premier pilier fondamental de ce statut était l'universalité du régime, qui s'adressait à toute personne souhaitant devenir auto-entrepreneur, qu'elle soit française ou ressortissante d'un pays de l'Union européenne. Si ce principe a été partiellement restreint par la suite, l'idée initiale était de rendre ce statut accessible au plus grand nombre.

Ensuite, la simplicité d'inscription a constitué une innovation majeure. Avant la création de ce statut, les créateurs d'entreprise étaient souvent découragés par la complexité administrative, notamment par les prélèvements de l'Urssaf qui intervenaient avant même que l'entreprise ne génère du chiffre d'affaires. Nous avons remplacé ce système par un prélèvement proportionnel au chiffre d'affaires réalisé et ainsi éliminé un obstacle majeur pour les nouveaux entrepreneurs. Un autre pilier essentiel a été la fusion des prélèvements sociaux et fiscaux, permettant pour la première fois un versement unique sous certaines conditions de revenu. 

Enfin, j'ai également supprimé la taxe professionnelle pour les micro-entreprises pendant les trois premières années d'activité, afin de stimuler le lancement du régime. Ces fondements, inclus dans la loi de modernisation de l'économie dont le premier article était dédié à ce statut, ont permis son adoption dès le 1er janvier 2009, après sa promulgation en août 2008.

Quel a été l'accueil réservé à ce nouveau statut lors de son lancement ?

J'ai su quelques mois avant que ça allait être un grand succès. En octobre 2008, l'inauguration du Salon de la micro-entreprise a eu lieu à l’université Paris-Dauphine. Le stand officiel du ministère des Finances, en partenariat avec l'Agence pour la création d'entreprises, a été littéralement pris d'assaut. Des dizaines de personnes se pressaient pour obtenir des informations sur ce nouveau statut, ce qui a confirmé l'existence d'une demande forte et latente.

Nous avons lancé un site de préfiguration, auto-entrepreneur.fr, pour permettre aux intéressés de se préinscrire et de se familiariser avec les démarches à venir. En l'espace de quelques jours, le site a enregistré 40 000 inscriptions, un chiffre qui a dépassé toutes nos attentes et qui m'a indiqué que nous étions sur la bonne voie. Pour renforcer cette dynamique, j'ai organisé une grande réunion d'information en novembre 2008, avant même l'ouverture officielle des inscriptions. 4 000 personnes se sont déplacées. 

Et dès l'ouverture des inscriptions, l'impact a été immédiat. En 2009, le nombre de créations d'entreprises en France a doublé, passant de 300 000 à 600 000, grâce à l'apport des auto-entrepreneurs. Ces chiffres confirmaient non seulement l'adhésion populaire au statut, mais aussi son rôle crucial dans la dynamisation de l'entrepreneuriat en France.

Comment ce succès s'explique-t-il alors ? 

Je pensais que la simplification était la seule raison du succès, mais en réalité, il y avait deux phénomènes que je n’avais pas anticipés. Le premier : la révolution numérique qui est arrivée au même moment, c'est-à-dire la capacité à croiser offres et demandes à partir d'une application. Il s’est avéré que le statut parfaitement adapté à cette révolution numérique était celui de l’auto-entrepreneur.

Le second phénomène est l’évolution profonde du travail en lui-même. Le modèle traditionnel du salariat, conçu pour une organisation du travail basée sur la grande concentration industrielle, commençait à perdre son hégémonie. Avec la montée en puissance des services, la robotisation des usines, et la réduction du nombre d'emplois dans l'industrie, l e salariat, bien qu'encore majoritaire, n'était plus l'unique horizon des formes d'activité. Cette mutation a favorisé l'émergence de nouvelles formes de travail indépendant, dont le statut d'auto-entrepreneur est une des expressions les plus abouties.

Ces deux dynamiques, la révolution numérique et l'évolution des modes de travail, expliquent non seulement le succès initial du statut, mais aussi sa pérennité. Aujourd'hui, nous constatons un phénomène similaire dans de nombreux pays, avec l'essor des freelances et des travailleurs autonomes. Cela démontre que ce n'est pas un phénomène isolé, mais une tendance de fond qui redéfinit le paysage du travail à l'échelle mondiale.

Comment ce statut se caractérise-t-il dans d’autres pays ? 

Lorsque j'ai conçu le statut d'auto-entrepreneur, j'étais bien sûr au courant des expériences menées à l'étranger, dont celle du Canada. J'avais établi des liens étroits avec mon homologue québécois à l'Économie, que j'avais d'ailleurs reçu à Paris au moment du lancement de notre statut. Au Québec, ils avaient déjà mis en place le statut de travailleur autonome, qui partageait certaines similitudes avec notre modèle.

Il m'avait du reste félicité en disant que c'était la première fois que les Français parvenaient à faire plus simple que les Canadiens ! C'est principalement l'exemple canadien qui m'a inspiré, même si nous avons également étudié d'autres modèles.

Cependant, notre priorité était de pousser la simplification encore plus loin, que ce soit en termes de prélèvements ou de démarches administratives. Et si ce modèle a bien fonctionné en France, c'est aussi parce que nous avons su capter des dynamiques plus profondes, telles que l'évolution du travail et le désir croissant d'initiative individuelle, notamment chez les jeunes.

Ces évolutions du travail pourraient-elles être en partie liées à l’émergence du statut de l’auto-entrepreneur ?

Je pense que le statut d'auto-entrepreneur a cristallisé une évolution du travail qui était déjà en cours. Comme je l'ai mentionné plus tôt, la société elle-même évoluait vers un modèle centré sur les services, où la production matérielle, caractéristique de la société industrielle, devenait moins dominante. Cette transition vers une société de services a naturellement entraîné des mutations profondes dans la manière dont le travail est organisé.

L'émergence du télétravail, particulièrement mise en lumière par la pandémie de Covid-19, illustre bien cette autonomisation progressive du salarié. Le télétravail, qui permet aux salariés de s'émanciper partiellement des directives hiérarchiques, converge avec les aspirations des indépendants à plus de liberté et de flexibilité dans leurs missions.

En somme, ces mutations du travail sont en partie liées à la révolution numérique, mais elles sont surtout le fruit d'une transformation économique plus large. C’est une perspective marxisante, mais les infrastructures économiques dictent souvent les changements dans les superstructures sociales. Ainsi, la transition d'une société industrielle à une société de services a conduit à des ajustements dans les modes de production et d'organisation du travail, et c'est dans ce contexte que le statut d'auto-entrepreneur s'est développé.

Ces quinze dernières années, marquées par l'anniversaire du statut, montrent bien que ces mutations étaient déjà en marche et ont trouvé dans ce cadre une expression adaptée à une nouvelle ère du travail.

Pourquoi le statut de l’auto-entreprise a-t-il basculé vers la micro-entreprise ? 

Ce changement s'est opéré un peu contre mon gré, car je n'étais plus au gouvernement à ce moment-là. À l'origine, il existait déjà un statut de micro-entreprise qui offrait notamment une exonération de TVA sous certaines conditions. Lorsque nous avons créé le statut d'auto-entrepreneur en 2009, il était clair que ces deux régimes partageaient des caractéristiques similaires, bien que le statut d'auto-entrepreneur offrait des avantages supplémentaires.

Beaucoup de micro-entreprises ont alors opté pour le statut d'auto-entrepreneur, car il était plus attractif. Cependant, après mon départ du gouvernement, il y a eu un mouvement paradoxal où la population croissante des auto-entrepreneurs a été regroupée sous le terme de micro-entreprise, un vocable qui, à mon sens, ne rend pas justice à la spécificité du statut d'auto-entrepreneur. Ce changement a été en partie motivé par le fait que certains ministres sous le gouvernement Macron n'appréciaient pas le statut d'auto-entrepreneur. Ils ont tenté de le limiter, voire de l'éliminer progressivement. 

Cette évolution sémantique me semble regrettable. Le terme "auto-entrepreneur" avait une dimension personnelle et dynamique, évoquant l'idée d'entreprendre avec ses propres moyens. En revanche, "micro-entreprise" renvoie simplement à l'idée d'une très petite entreprise, ce qui atténue l'impact de ce que représentait l'auto-entrepreneur.

Il y a pourtant eu des évolutions bénéfiques du statut sous le gouvernement Macron, comme l’augmentation du seuil de chiffre d'affaires ? 

Oui, l'augmentation du seuil de chiffre d'affaires a été une évolution très positive. Bruno Le Maire a pris l'initiative de doubler ces montants, ce qui a véritablement dynamisé le statut. Toutefois, il n'a pas doublé l'exonération de TVA en parallèle, ce qui aurait été idéal [NDLR : le statut d’auto-entrepreneur exonère de la TVA en dessous d’un certain seuil de chiffre d’affaires]. Cette absence d'accompagnement a été justifiée par le coût que cela aurait engendré, mais quand on compare avec d’autres dépenses publiques, cela peut prêter à sourire.

En tout cas, ce doublement du chiffre d'affaires a effectivement stimulé l'activité, même si cela a introduit une complexité supplémentaire dans le régime. Désormais, nous avons quatre seuils à gérer : deux pour les services et les commerces, et deux pour la TVA. Cette complexification, même pour la gestion des factures, est regrettable à mes yeux.

Personnellement, j'aurais préféré une augmentation plus modérée, disons d'un tiers, tout en maintenant un seul plafond par activité, ce qui aurait simplifié les choses. Depuis sa création il y a 15 ans, le régime est sans cesse confronté à des tentatives de complexification. Par exemple, une nouvelle obligation a été introduite sous la pression des artisans : les auto-entrepreneurs doivent désormais s'inscrire auprès des chambres de métiers pour les métiers nécessitant une qualification, comme ceux du bâtiment.

Cette inscription obligatoire a eu l'avantage de renforcer les chambres de métiers, qui comptent aujourd'hui une majorité d'auto-entrepreneurs parmi leurs adhérents. Cependant, cela a aussi contribué à compliquer le régime, tout comme l'augmentation successive des charges. À l'origine, le prélèvement forfaitaire était relativement bas, autour de 13 % pour les services et de 23 % pour les activités de production. Aujourd'hui, ces taux ont grimpé, atteignant entre 25 % et 30 %, ce qui pèse davantage sur les auto-entrepreneurs.

Que répondez-vous aux critiques qui accusent ce régime de précariser le travail ?

Ce que je réponds, c'est que l a précarité du statut découle en grande partie de l'absence d'adaptations législatives qui pourraient le rendre plus sécurisé et attractif. C'est un enjeu majeur pour lequel je me bats depuis des années. Il est essentiel de mettre en place une régulation qui réduise cette précarité.

La principale source de précarité, à mon sens, est le risque de requalification. Ce risque est particulièrement élevé pour les auto-entrepreneurs exerçant des métiers comme les livreurs ou les chauffeurs VTC. Ces professionnels sont confrontés à des menaces de requalification en salariés, soutenues notamment par une directive européenne. Si cette requalification devenait systématique, cela rendrait ces activités non rentables et pourrait entraîner la suppression de nombreuses sources de revenus pour des millions d'indépendants.

Il est important de revenir à la philosophie fondatrice du statut d'auto-entrepreneur. Pour moi, un auto-entrepreneur est avant tout un entrepreneur, et comme tout entrepreneur, il dépend de ses clients. S'il perd ses clients, il fait face à des difficultés similaires à celles de n'importe quelle entreprise en faillite, avec tout ce que cela implique. C'est pour cette raison que j'avais également porté un projet de loi visant à protéger les biens personnels des entrepreneurs en cas de faillite, pour éviter qu'ils ne soient saisis. Cela faisait partie d'une vision plus large de la protection de l'entrepreneur.

Il est vrai que ce statut ne prévoit pas de cotisation chômage, car nous partons du principe qu'un chômeur est quelqu'un qui perd son emploi salarié. En revanche, un entrepreneur qui perd ses clients fait face à un autre type de risque, qui est inhérent à la nature de son activité. C'est une autre philosophie, celle du risque entrepreneurial, où la rémunération doit être en adéquation avec les risques assumés. 

Il y a eu des tentatives pour étendre l’assurance chômage aux auto-entrepreneurs : pourquoi n’ont-elles pas abouti, selon vous ?

En effet, c'était une proposition du président Macron lors de sa campagne en 2017, visant à ouvrir des droits au chômage pour les auto-entrepreneurs. Cependant, cette initiative n'a pas abouti, principalement en raison de son coût élevé. Il est rapidement apparu que cela aurait créé un déficit majeur pour l'assurance chômage.

Les cotisations auraient dû être revues à la hausse, ce qui aurait alourdi la charge pour les auto-entrepreneurs. Finalement, cette mesure a été limitée aux situations de liquidation d'entreprise, et comme il y a eu très peu de cas, la loi a perdu de son impact, restant largement inapplicable.

À l'origine, la couverture des auto-entrepreneurs se concentrait sur trois aspects principaux : la maladie, la retraite et la formation. Avec le temps, ces protections se sont naturellement étendues, par exemple avec l'alignement du congé maternité des femmes auto-entrepreneurs sur celui des salariées.

Depuis le 1er juillet 2024, les micro-entrepreneurs ont vu leurs cotisations augmenter pour leur retraite complémentaire. Que pensez-vous de cette évolution ? 

La question de la retraite reste un enjeu majeur. Les pensions des auto-entrepreneurs, comme celles de tous les indépendants, sont faibles. Cela s'explique par la nature intermittente de leur activité, liée à la fluctuation de la clientèle. Par conséquent, les trimestres cotisés sont souvent moins nombreux que ceux d'un salarié, ce qui entraîne des différences significatives entre les retraites des deux groupes.

Cette disparité est inhérente à la philosophie même du statut d'indépendant. Il s'agit d'un choix assumé par ceux qui optent pour l'entrepreneuriat, souvent des jeunes plus attirés par l'autonomie et la flexibilité que par des préoccupations de cotisations. Dans ce contexte, l'entrepreneur est responsable de sa propre retraite, à travers des mécanismes tels que la capitalisation ou les plans d'épargne retraite.

Je pense que la cotisation pour la retraite complémentaire est une bonne chose en soi. Cependant, je regrette que cette mesure se soit accompagnée d'une augmentation aussi lourde des charges pour les indépendants. Il aurait été plus judicieux de proposer des alternatives, comme des options d'épargne retraite spécialement conçues pour les indépendants. Aujourd'hui, il existe des fonds d'épargne retraite importants, et je pense que leur accès aurait pu être élargi aux indépendants. Cela aurait allégé les charges qui pèsent sur eux.

Ma grande crainte est qu'en continuant d'augmenter ces charges, on finisse par étouffer le régime. Si les avantages diminuent ou disparaissent, le statut d'auto-entrepreneur risque de perdre tout son attrait.

Quelles évolutions aimeriez-vous voir dans les prochaines années pour ce statut ?

Je déplore que les gouvernements successifs n'aient pas suffisamment pris en compte l'évolution sociétale pour adapter le droit à la réalité économique. Le gouvernement Macron a fait un pas en avant en créant l' Autorité des relations sociales des plateformes d'emploi (ARPE), qui vise à encadrer les relations entre les plateformes et les indépendants, cela ne couvre qu'une petite fraction des auto-entrepreneurs, environ 200 000 sur 2,5 millions.

Il est essentiel que les pouvoirs publics revoient le code du travail pour y intégrer un cadre spécifique aux indépendants. Actuellement, ce code est conçu uniquement pour les salariés et ne traite des indépendants que sous l'angle de la requalification en salarié. Un chapitre dédié aux indépendants, définissant des règles et protections adaptées à leur situation, est nécessaire.

Le salariat évolue, et de nombreux métiers ne trouvent plus preneur sous une forme salariale classique, notamment dans les secteurs en tension comme l'hôtellerie et la restauration. Malgré cela, on continue à interdire aux indépendants d'effectuer des missions de longue durée dans les entreprises. Cette rigidité empêche les entreprises de combler leurs besoins en main-d'œuvre et conduit à des procès contre certaines plateformes.

Enfin, il est crucial d'éviter que la directive européenne en cours ne force la requalification systématique des livreurs et des chauffeurs VTC en salariés, ce qui mettrait en danger la viabilité de ces activités et priverait de nombreux indépendants de leurs revenus.

Selon vous, il faudrait ouvrir ce statut à plus de champs d'activité, comme la restauration ?

Absolument. Il est crucial d'organiser la coexistence dans l'entreprise des diverses formes d'activité, qu'elles soient salariées ou non salariées. Cette coexistence est vitale; car elle répond à une transformation structurelle de notre société. Aujourd'hui, la relation des individus au travail a profondément changé. Les salariés, par exemple, sont de plus en plus exigeants avant de s'engager dans une entreprise, et le taux de fidélité à une entreprise a considérablement évolué.

Cette nouvelle réalité nécessite une réflexion profonde et une adaptation de nos normes sociales. Il ne sert à rien de reconnaître que la relation au travail change sans en tirer les conséquences nécessaires, tant pour l'entreprise que pour les salariés et les indépendants. Nous devons préparer le terrain pour le XXIe siècle en organisant cette coexistence. Malheureusement, il y a un manque de courage politique à cet égard.

Les syndicats de salariés, par exemple, pourraient voir d'un mauvais œil l'arrivée de non-salariés dans l'entreprise, car cette population est plus difficile à encadrer et ne rentre pas dans les schémas traditionnels. Même au sein des organisations patronales, il y a une certaine frilosité. Cette résistance est compréhensible, car elle touche des situations acquises et remet en question des équilibres établis, ce qui peut sembler dangereux pour les pouvoirs publics qui essaieraient d'imposer de tels changements.

J'avais fait deux autres propositions importantes. La première était de permettre aux métiers en tension d'accueillir des auto-entrepreneurs pour des missions spécifiques, au lieu de fermer les yeux sur le recours à des travailleurs illégaux dans ces secteurs. Cela sécuriserait le statut des travailleurs indépendants et répondrait à un besoin crucial.

La deuxième proposition concernait l'intégration des seniors et des juniors dans le monde du travail. Si l'apprentissage a fait des progrès, il reste largement soutenu par des incitations financières. Je pense qu'il serait très intéressant de permettre à des salariés proches de la retraite de revenir dans les entreprises en tant qu'indépendants pour accompagner et former les jeunes. Cela permettrait de créer un lien intergénérationnel tout en étant économiquement viable, car les charges sociales seraient assumées par l'indépendant, et non par l'entreprise. 

La France compte aujourd’hui 2,7 millions de micro-entrepreneurs. Que ressentez-vous devant ce chiffre ? 

J’en suis très fier. Comme je l'ai mentionné, à l'origine, c'était une démarche de simplification, mais cela s'est avéré être en parfaite adéquation avec une mutation profonde de notre société. Parfois, je plaisante en disant que je me sens un peu comme Christophe Colomb, qui pensait découvrir les Indes et a finalement découvert l'Amérique. De la même manière, j'ai initié ce statut pour simplifier, et cela a révélé une véritable révolution économique et sociale.

C'est extrêmement gratifiant de rencontrer des personnes qui me disent que leur fils, leur tante, ont pu entreprendre grâce à ce statut. Cela me fait chaud au cœur. Bien sûr, il n'y a pas que des gens qui apprécient cette réforme, mais on ne peut pas plaire à tout le monde. Néanmoins, ces témoignages positifs me rappellent que j'ai contribué à quelque chose de significatif.

Parmi toutes les réalisations de ma carrière, c'est probablement celle dont je suis le plus fier. J'ai fait beaucoup de choses durant mes trois ans et demi à Bercy, comme la création des cinq étoiles dans la classification hôtelière ou le label Palaces, mais rien n'a eu l'impact sociétal de cette réforme. Ce statut a marqué une véritable transformation, bien au-delà de ce que j'avais initialement envisagé. C'est une grande fierté pour moi d'avoir été un acteur de ce changement.

Et que diriez-vous à quelqu'un qui hésite à créer son statut d'auto-entrepreneur ?

Je lui dirais que le XXIe siècle est celui des initiatives individuelles, soutenues par les révolutions technologiques et économiques que nous vivons. Créer son entreprise, c'est se lancer dans une aventure exaltante, avec une part de risque, certes, mais un risque limité grâce au statut d'auto-entrepreneur. Comme on disait au début : pas de chiffre d'affaires, pas de charges. Cela reste vrai aujourd'hui, et c'est un atout majeur.

Si quelqu'un a un projet en tête, je lui conseille de bien réfléchir à ce qu'il veut faire de sa vie, puis de se lancer tout en s'entourant des bonnes personnes. Se faire accompagner est essentiel, car cela permet de gagner du temps et d'éviter certains écueils. Le risque est relativement faible, car si l'entreprise ne fonctionne pas, on peut toujours revenir à un emploi salarié. C'est ce qui rend ce statut si attractif.

Je fais une distinction entre les auto-entrepreneurs qui poursuivent un projet spécifique et ceux, comme les chauffeurs ou les livreurs, qui cherchent surtout à générer des revenus. Pour ceux qui ont un véritable projet entrepreneurial, il est crucial de bien s'accompagner et de préparer chaque étape avec soin. Le statut d'auto-entrepreneur offre une belle opportunité de concrétiser ses ambitions, mais il nécessite aussi une certaine philosophie de l'indépendance et de l'entrepreneuriat.

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