De la Hongrie en passant par Bruxelles et les institutions européennes, Monika Forro raconte pour Espace Auto entrepreneur, comment elle a choisi de se reconvertir dans l’art thérapie. Un métier pratiqué en auto-entreprise et qu’elle vit aujourd’hui comme une passion. En mêlant son esprit d’entreprise, son sens de l’humain et son savoir-faire, elle met ses compétences aux services des malades et bien plus encore. Un métier varié et riche dont elle ne cesse d’apprécier l’impact positif et les possibilités d’aller encore plus loin dans de nouveaux projets...
C’est une longue histoire, car je n’ai pas toujours été art thérapeute. En 2006, suite à une licence en économie internationale que j’ai faite à Budapest (je suis hongroise), j’ai déménagé en France pour intégrer un Master 2 en affaires européennes à Science Po. Suite à cela, j'ai travaillé pendant 8 ans auprès des institutions européennes, comme la Chambre de Commerce et d’Industrie de Hongrie pour défendre les intérêts des petites et moyennes entreprises hongroises. C'était un métier de bureau, de juriste, dans lequel il fallait énormément de temps pour faire évoluer les textes législatifs, en espérant que ça ait un impact sur les entreprises hongroises. Malheureusement, l'Europe est une grosse machine et, en réalité, nous avions très peu d'impact.
Certes, j’avais un poste stable et prestigieux, mais il ne me procurait absolument pas de satisfaction personnelle. Je n’en ressentais pas du tout d'impact concret sur la vie des gens. C'était très difficile pour moi d'avoir un métier qui n'avait pas beaucoup de sens direct et où finalement, il n’y avait pas d’humain. Je vivais une forme de déconnexion entre mon travail quotidien et mes aspirations personnelles.
L’art a toujours été une bouée de sauvetage dans des périodes difficiles de ma vie, depuis que je suis toute petite. Cela a eu beaucoup d’impact sur moi et ça a éveillé une curiosité profonde : je me posais la question de savoir comment l’art pouvait produire des effets aussi positifs sur ma santé mentale. En explorant cette question, j'ai découvert que l'art thérapie avait des bases scientifiques. J’ai creusé la question et je suis tombée sur des articles et des recherches qui expliquaient ce qu’il se passe réellement dans un corps et un cerveau humain quand nous contemplons un tableau ou quand nous sommes en train de pratiquer. J’ai été déroutée par le fait que ce que je ressentais pouvait être expliqué scientifiquement avec des données rationnelles. C’est devenu une évidence : je voulais comprendre ces mécanismes, les appliquer et soulager les personnes en souffrance autour de moi.
Oui, après 2-3 ans de réflexion, j’ai pris un gros virage en reprenant des études à 36 ans. J'ai quitté mon travail et j'ai suivi une formation spécifique en art-thérapie à l'école d'Afratapem à Tours. La formation de base dure deux ans, complétée par un diplôme universitaire à la faculté de médecine de Tours. La reconversion a duré environ 3 ans, avec de nombreux stages dans les hôpitaux pour obtenir une expertise solide. Il y a aussi un mémoire professionnel à écrire, et une recherche universitaire à mener. C’était une période dense.
Aujourd'hui, dans le domaine de la santé, l'art est complètement sous-exploité. Pourtant, l'art thérapeute utilise le pouvoir de l’art et l’associe au soin pour accompagner des personnes en souffrance physique, psychologique ou émotionnelle. C’est une approche de soin non médicamenteuse. Cela permet de mobiliser des mécanismes humains différents. Par exemple, rien que le fait de se tourner devant un tableau mobilise le corps. C’est anodin pour une personne en bonne santé, mais pour un malade, ce genre d'action peut être énorme. Notamment en soins palliatifs où je travaille, certaines personnes qui sont en dépression, qui n'ont plus le goût de vivre, plus aucun plaisir sensoriel, arrivent à réveiller leur sens à travers un tableau pétillant et à réengager leur corps, leur tête, leur buste pour se tourner vers l'art et s'ouvrir vers le monde. C'est déjà une étape énorme. Finalement, par ce détournement, on peut accéder aux émotions des gens. Ça peut aussi réduire le stress, la perception de la douleur et on peut améliorer la qualité de vie des patients et des proches en contexte hospitalier.
En fait, je n’ai pas vraiment eu le choix, car l’indépendance est plutôt la norme dans ce métier, surtout parce qu'il n’est pas reconnu par le système de santé, mal connu et mal compris. C'est pour ça que je suis très engagée et déterminée à apporter une art thérapie très professionnelle, basée sur un protocole d'art thérapeutique bien précis. Je cherche toujours à expliquer la pratique pour gagner en légitimité par la suite.
Aussi, la création du statut est très facile et rapide, ça donne un peu de temps, au début, de voir si ça marche ou pas, et comment ça peut évoluer. Ce statut me convient bien et m’offre beaucoup de satisfaction dans l’exercice de mon métier.
Ce cadre souple m'offre une liberté inestimable pour imaginer, créer et développer des projets innovants. Je peux apporter des dispositifs dans les hôpitaux publics ou privés qui ne pourraient pas exister autrement. Quand on travaille dans un hôpital, quand on est salarié, il y a des directives très concrètes des employeurs et il faut rester dans le cadre. J'ai aussi choisi ce chemin pour rester maîtresse de mes choix, éviter les contraintes d'un cadre institutionnel trop rigide, et parce que j'ai cette fibre entrepreneuse. Et c'est certainement grâce à mon expérience à Bruxelles. J’ai acquis certaines compétences qui me permettent de créer des projets différents, de savoir chercher des financements, mais aussi d’utiliser la diplomatie et l'art de la détermination. Cela m'aide aujourd'hui à structurer mes initiatives, collaborer avec des partenaires variés et défendre l'importance de l'art-thérapie.
Aujourd'hui, j'interviens dans plusieurs hôpitaux. En hématologie, auprès des patients atteints de cancers du sang, aussi avec des patients soit en rémission, soit en traitement ou en découverte de cancer. Je travaille avec des patients en unité de soins palliatifs et aussi avec leurs proches. Bientôt, je vais travailler au Palais des Beaux-Arts de Lille en tant qu'art thérapeute, pour le département art et santé, car les médecins du CHU peuvent prescrire aux patients de venir au Palais des Beaux-Arts pour des séances d’art thérapie. Je partage également mon expérience professionnelle dans les facultés de médecine, dans le cadre des diplômes universitaires de soins palliatifs et des diplômes universitaires d'art thérapie, pour sensibiliser les soignants à son impact dans le processus de soins. Ce qui est incroyable, c’est que, quand j'étais à Bruxelles, les 8h de travail par jour étaient très dures. Aujourd’hui, les journées passent en un claquement de doigt. Même si, par exemple, je travaille sur des thérapies autour du modelage le soir ou le week-end, je n’ai pas l’impression de travailler.
Au niveau administratif, aucune, je trouve ça très simple, je gère tout cela très facilement.
La difficulté réside dans le fait de faire connaître et comprendre mon métier aux hôpitaux qui sont susceptibles de faire appel à moi. Il faut gagner leur confiance, se justifier et gagner en crédibilité pour montrer qu’on peut construire quelque chose qui a un véritable impact, que ce soit pour les patients, pour les proches, et aussi pour la qualité de vie des soignants.
Même si ça n’est pas vraiment une difficulté, car avec le bouche-à-oreille, j'ai tout de suite réussi à travailler, j’ai aussi appris à anticiper les projets d’une année sur l’autre pour éviter d’être stressée quand ils se terminent, et ainsi avoir plus de visibilité sur mon travail.
Mis à part l’impact positif que je peux avoir sur les gens, c’est le projet de capsule d’art thérapie que je mène dans un hôpital. J’ai mis en place une salle entière dédiée à l’art thérapie. Cette salle immersive, c'est une fenêtre sur le monde pour ceux qui ne peuvent plus quitter l'hôpital, plus aller au musée, qui ne peuvent pas se retrouver face à la beauté d'une montagne par exemple. J’utilise cet outil pour éveiller chaque sens avec des tableaux, des sculptures, du son… pour les patients en fin de vie, leurs proches, mais aussi les soignants qui peuvent venir s’y ressourcer dans leur quotidien difficile. Ce projet qui me tenait à cœur a été remarqué par un grand fond de dotation qui est venu observer ce qu’on faisait et à décider de le dupliquer sur trois gros centres hospitaliers de la région. Je coordonne ce projet qui devient un gros chantier et j’espère, à terme, que ce soit intégrer au maximum de centres de soins.
Oui, déjà pendant la formation, j’étais pleine de questionnement sur ma capacité à vivre de ce métier par la suite, car c’est un métier qui n'est pas reconnu par l'État et qui n’a pas de réglementation. Dans les hôpitaux, par exemple, il n'y a pas de ligne budgétaire attribuée à l'art-thérapie. Je quittais aussi Bruxelles et la stabilité pour l’inconnu… mais je savais que c’est ce que je voulais faire. Heureusement, j’ai été beaucoup soutenue par mon mari et c’est important, car seul, on peut vite être étranglé par la peur liée aux finances. Je me sentais en sécurité, ce n'est pas donné à tout le monde. Aussi, on se pose forcément la question de la retraite, de l’accès au chômage et des avantages qu’on perd par rapport au salariat. Mais on ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre.
Je ne sais pas encore, mais je me pose beaucoup de questions. J’ai fait de l'art thérapie pour le côté humain et je suis aussi déterminée à faire avancer les choses pour le métier, notamment à développer les capsules d’art thérapies, ce qui fait plus appel à ma casquette d'entrepreneuse. Je ne veux pas perdre de vue les raisons pour lesquelles j’ai fait ce métier et devenir plus gestionnaire que praticienne. Il y a donc un équilibre à trouver.
Aussi, je me pose la question du portage salarial pour retrouver certains des avantages du salariat liés à la protection sociale et au chômage. Je pense que j’aurais besoin d’un accompagnement pour y voir plus clair, car tout cela est très complexe.
Je dirais qu’il ne faut pas se lancer sans sous-estimer la charge mentale et la pression financière que cela peut impliquer, notamment pendant une période de reconversion professionnelle. Mais quand on est déterminé et prêt à persévérer face aux défis, on peut gravir toutes les montagnes. Il faut regarder les tâches petit à petit, sinon on peut vite prendre peur.
Je pense aussi qu’il est important de choisir des formations sérieuses et de se construire un réseau solide. En tout cas aujourd’hui, c’est une aventure que je ne regrette pas du tout.
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