L’enseignement, c’était son rêve d’enfance, mais Nuria Torres s’est finalement tournée vers la finance, un domaine complètement différent. Née à Barcelone, c’est ce premier métier qui l’amène à s’installer en France et à y construire sa vie professionnelle et familiale. Le Covid à tout remis en question et elle s’est dirigée aujourd’hui vers ce qui était certainement sa vocation : enseigner. “Tu me dis, j'oublie. Tu m'enseignes, je me souviens. Tu m'impliques, j'apprends” est devenu son mantra. Un virage à 360° qu’elle nous raconte pour Espace Auto-entrepreneur (à lire avec un accent espagnol chaleureux !).
Avant, j'étais dans la finance. J’ai d’abord travaillé en Espagne (je suis originaire de Barcelone), pour une grosse entreprise internationale. Entre autres, j’élaborais et suivais le budget prévisionnel, j’alertais des possibles anomalies, j’analysais les écarts, je faisais des reportings et je formais les personnes opérationnelles sur le terrain. J’ai fait ça pendant 11 ans. C’est via cette entreprise dont le siège était français que je me suis installée en France à mes 31 ans. Puis j’ai travaillé comme contrôleur de gestion dans une autre entreprise, plutôt axée sur la gestion, pendant 5 ans. Il s’agissait là d’analyser et contrôler les finances de l’entreprise, mettre en place le budget et aider à atteindre les objectifs financiers.
D’abord l’envie, car l’enseignement est un projet que j’ai toujours eu en tête. Petite, je voulais déjà être professeur, mais en Espagne à l’époque, ce métier souffrait beaucoup du chômage. Mes parents m’ont plutôt poussée vers une école de commerce, plus sécurisante en termes de débouchés. Dans mon ancien métier, je me suis rendu compte que j’aimais beaucoup les périodes de formation. On me faisait aussi remarquer mes facilités, ou en tout cas ma motivation, à transmettre et expliquer les choses lorsque c’était nécessaire.
Ensuite, comme beaucoup de monde, le Covid a été une période charnière pendant laquelle je me suis posé la question du sens de mon métier. Est-ce que finalement, je voulais continuer à mettre des chiffres dans des cases, contrôler des comptes, alerter sur des anomalies… Je n’en étais plus sûre. Je suis aussi très créative et j’aime être avec des enfants : imaginer des jeux, des chasses aux trésors, organiser les anniversaires par exemple. Alors, je me suis dit : pourquoi pas faire apprendre l’espagnol aux enfants et aux adultes, mais de manière créative et ludique ? L’apprentissage des langues n’est pas toujours facile, selon moi, il y avait quelque chose à développer.
J’ai d’abord fait un bilan de compétence qui m’a confortée dans mon envie puis, après le Covid, j’ai demandé une rupture conventionnelle. Ensuite, je me suis approchée de la BGE (une structure qui aide à la création d’entreprise), qui m’a accompagnée et m’a conseillée d’ouvrir un statut d’auto-entrepreneur. C’est pour ça que j’ai choisi ce statut en 2022 et j’ai créé ma structure : Ludiko Langues.
Ensuite, j’ai beaucoup travaillé sur la manière d’enseigner : je voulais que ce soit créatif et ludique pour impliquer les élèves. J’ai donc créé des jeux de sociétés, des ateliers créatifs, des danses, des chants, des jeux de rôles, des chasses au trésor qui sont devenus mes supports pour faire découvrir et apprendre l’espagnol, notamment aux plus petits.
Maintenant, je suis intervenante extérieure dans des écoles maternelles ou primaires. En tant que prestataire externe, je n’ai pas besoin d’avoir un diplôme d’enseignement, et je peux travailler dans le public comme dans le privé. J’interviens sur le temps périscolaire et extra scolaire pour apprendre l’espagnol aux enfants en utilisant ces supports ludiques. Ce sont des enfants à qui on propose cette “option”, qui se sont inscrits ou dont les parents veulent faire découvrir la langue, notamment en prévision du cycle secondaire.
Au début non, ça a été assez simple, et j’étais très bien accompagnée par la BGE. En ce qui concerne les déclarations à l’Urssaf et la partie administrative, je n’ai pas de grosses difficultés : j’avais un métier très “carré” et remplir ce genre de papiers, faire des factures ou gérer ma comptabilité ne me pose pas de difficultés. Mais je pense quand même que l’accompagnement extérieur a été bénéfique, car on se demande toujours si on n’a pas fait d’erreur : est-ce qu’il fallait cocher cette case ? Est-ce qu’il vaut mieux choisir l’impôt libératoire sur les revenus ? Est-ce que j’appartiens bien à cette catégorie de métiers ? Trouver l’information n’est pas compliqué : je regarde des vidéos, je cherche sur internet, mais l’information n’est pas toujours très claire et compréhensible. Comme c’est au cas par cas, tout est compliqué à généraliser et on ne sait jamais si on a fait le meilleur choix pour sa propre situation.
Je me mets déjà beaucoup de pression naturellement, aujourd’hui c’est agréable de ne plus avoir la pression d’une hiérarchie en plus. J’apprécie aussi de pouvoir gérer mon temps comme je le souhaite. Ça offre une grande liberté par rapport à avant. Je ne fais plus de gros déplacements, ce qui était compliqué justement avec deux enfants et un mari souvent en déplacement pour le travail. Maintenant, je suis plus présente à la maison, car quand je n’interviens pas dans les écoles, je travaille à domicile sur de nouveaux supports et jeux que j’invente. Je peux aussi aller chercher mes enfants à l’école et ne plus les mettre à la garderie matin et soir. J’ai donc gagné en qualité de vie sur ma vie de famille et j’apprécie ce statut pour ça.
La partie commerciale est celle que j’aime le moins. En entreprise, on ne se pose pas ces questions, c'est vrai. Aujourd’hui, même si je trouve un client, tout peut s’arrêter du jour au lendemain, et il faut tout recommencer, ce qui n’est pas évident. Je démarche différentes écoles avec ma méthode d’apprentissage. Parfois, elles n’ont pas le budget ou elles ont déjà un prestataire et le fait d’avoir un rendez-vous n’aboutit pas forcément même si il y a de l’intérêt pour ce genre de prestations.Malheureusement, ce qui bloque généralement, c’est souvent le budget. Il faut donc multiplier les pistes et ne pas se décourager. Forcément, la question financière se pose aussi. Contrairement à avant, je n’ai plus la même stabilité, le chiffre d'affaires varie selon les mois et ça peut être stressant.
Gérer la frontière entre temps personnel et temps professionnel est aussi une nouveauté pour moi. Il m’arrive de travailler le soir une fois que les enfants sont couchés, car je dois inventer de nouveaux jeux et préparer mes cours. Il faut veiller à conserver le bon équilibre sinon on peut travailler tout le temps.
Dans les écoles, comme il s’agit d’ateliers sur inscription, mon contrat s’étend généralement sur l’année scolaire, ce qui est plus pratique et rassurant pour organiser mon emploi du temps à long terme.
Les ateliers n’ont pas lieu tous les jours dans les mêmes établissements, je travaille donc avec différents groupes d’élèves sur différents sites. Mes cours se déroulent sur le temps du midi, avant ou après la cantine par exemple, un temps sur lequel généralement les élèves n’étaient pas occupés.
Ensuite, pour combler les moments où je n’interviens pas en école, j’ai commencé à donner des cours privés aux adolescents et aux adultes, via une structure qui me salarie à côté, ce qui me permet de compléter le temps “non scolaire”. Ça me permet aussi d’ouvrir aussi ma méthode d’apprentissage ludique, même aux adultes : il faut s’adapter. Avec eux, c’est beaucoup de discussions en espagnol, des exercices que j’essaye d’adapter à leurs besoins selon qu’il s’agissent de soutien scolaire ou de préparation aux examens.
Je pense que ça aurait été à peu près la même chose en Espagne. En ce qui concerne le chômage, la protection sociale en cas d’accident ou de maladie, on est logés à la même enseigne qu’en France. Il y a cependant quelques différences : là-bas, le paiement de la TVA est obligatoire, qu’importe le chiffre d'affaires. Les charges sociales sont calculées en fonction de l’estimation des revenus de l’auto-entreprise. Si les revenus sont en deçà de ce qui avait été estimé, il y a un remboursement. Sinon, il y a une régulation. Elles sont prises en compte pour la retraite, comme en France. Ce sont beaucoup de subtilités parfois compliquées à comparer.
J’appréciais quand même mon “ancienne vie”, mais aujourd’hui, je suis plus épanouie et j’en retire de grandes satisfactions. Par exemple, une de mes petites élèves ne participait pas trop au cours, car ses parents l’avaient un peu forcée à s’inscrire. J’essayais de l’impliquer particulièrement et, quand à la fin du premier cours elle m’a dit “Je ne sais pas comment on dit en espagnol, mais j’ai adoré ! ”, ça m'a remplie de bonheur. Pour me remercier pour l’année passée, mes anciens élèves avaient aussi rempli mon tableau de cœurs dessinés à la craie. Ce sont des toutes petites choses, mais au quotidien, ça fait vraiment chaud au cœur et je me sens utile. Voir les enfants apprendre, évoluer et s’amuser en plus, je trouve ça vraiment génial. Et il y a aussi quelque chose de plus personnel, de l’ordre de la transmission : je suis née à Barcelone, l’espagnol est ma langue maternelle et je suis contente de partager la culture ibérique et d’ouvrir les enfants à quelque chose de différent.
Oui, forcément avec les enfants, il y en a beaucoup ! Souvent, je demande pourquoi les enfants sont attirés par l’espagnol, pour faire connaissance en début d’année. Une petite fille de 5 ans m’a répondu récemment que ses parents parlaient espagnol quand ils ne voulaient pas qu’elle comprenne leur conversation. Et que c’était pour ça qu’elle voulait apprendre. J’ai trouvé ça très drôle.
J’aimerais continuer à travailler comme je le fais avec les enfants, mais j’ai quand même besoin de consolider le côté financier. Alors, je cherche à développer les cours pour adultes et particulièrement en entreprise. Je pourrais intervenir dans des formations, dans des séminaires… En plus, si c’est sur les horaires d’entreprises, ce serait parfait pour combler les trous de mon emploi du temps.
Je me dis aussi, pourquoi ne pas essayer de devenir vraiment professeur dans des collèges ou lycées. Aujourd’hui, je peux faire des remplacements grâce à mon statut et mon niveau d’étude. Pour être titulaire, il faut passer le CAPES. C’est aussi une option à laquelle je réfléchis.
Je conseillerai de se lancer, rien que pour le côté épanouissement. C'est une fierté de faire avancer un projet et de le voir grandir. C'est un peu comme notre bébé !
Par contre, je pense qu’il faut rester prudent et bien prendre en compte son marché, et ses possibilités de développement. Il faut penser à toutes les éventualités, quitte à se prévoir un scénario pessimiste pour éviter les mauvaises surprises et savoir se retourner si ça ne fonctionne pas. Il ne faut pas non plus hésiter à demander conseil à des personnes expertes dès que l’on peut !
le 27/12/2023
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Nuria Torres, professeure d’espagnol “Le Covid a été une période charnière pendant laquelle je me suis posé la question du sens de mon métier“
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